Colloque du COR le 15 novembre 2021- "Le COR est-il trop optimiste ?"
Quelles hypothèses économiques retenir pour les projections de long terme du système de retraite français ?
Pour établir ses projections financières du système de retraite, le COR doit notamment s’appuyer sur des hypothèses économiques. Le COR élabore depuis sa création les scénarios économiques de long terme sur lesquels reposent ses travaux, et le choix de ces scénarios de long terme est le fruit d’une discussion et d’un consensus entre les membres du COR.
Son ambition est de constituer des scénarios contrastés et raisonnables susceptibles d’éclairer la décision publique en fournissant des éléments d’appréciation de la situation financière à long terme de notre système de retraite, et non de présenter des prévisions économiques. Les scénarios sont bâtis à partir d’hypothèses relatives au taux de chômage (d’où découle l’emploi), d’hypothèses d’évolution de long terme de la productivité horaire du travail qui détermine l’évolution de la rémunération horaire du travail, dès lors que le partage de la valeur ajoutée et le nombre d’heures travaillées par tête sont réputés stabilisés.
Ce colloque a été l’occasion de questionner la pertinence de ces scénarios et, notamment, les conséquences que peut éventuellement avoir la crise de la Covid sur les hypothèses de long terme. Il a permis notamment de s’interroger sur ce qu’il est possible d’espérer au vu des tendances passées en termes de croissance de la productivité horaire du travail.
À l’aune de ces contributions et discussions, et à l’issue de la séance plénière du COR du 25 novembre 2021, les membres ont décidé que les projections du système de retraite seront déclinées selon quatre nouvelles cibles de productivité (0,7 %, 1,0 %, 1,3 % et 1,6 %), avec un taux de chômage à long terme de 7 %.
En introduction au colloque, Antoine Bozio a expliqué en quoi les hypothèses de productivité sont si importantes pour les projections de long terme du COR. Il a montré que le passage d’une indexation des droits et des pensions sur les salaires à une indexation sur les prix, depuis trente ans, a été un levier majeur pour contrebalancer l’augmentation de la part des dépenses de retraite dans le PIB liée au vieillissement de la population. Mais le recours à ce levier présente l’inconvénient de rendre la situation financière du système de retraite et la situation relative des retraités par rapport aux actifs fortement dépendantes du rythme de la croissance de la productivité, passée et à venir. Par exemple, selon le rapport du COR de juin 2021, la pension moyenne relative aux revenus d’activité varierait ainsi entre 31,6 % (scénario 1,8 %) et 36,9 % (scénario 1,0 %) en 2070, tandis que la part des dépenses de retraite dans le PIB représenterait respectivement entre 11,3 % et 13,0 %.
Pour la préparation de ce colloque, 82 économistes ont été consultés afin de recueillir leur avis sur les évolutions potentielles de long terme de la productivité du travail, du taux de chômage, du partage de la valeur ajoutée et de la durée du travail. Parmi les experts consultés, 23 ont répondu, et ils ont majoritairement fait part de leur souhait de décaler les scénarios de croissance vers le bas. Le scénario 1 %, qui correspond environ à la croissance annuelle moyenne de la productivité depuis la sortie de crise de 2008, serait alors un scénario intermédiaire et non plus un scénario extrême. Le débat économique actuel reste cependant très partagé entre « techno-optimistes » et « techno-pessimistes » sur l’avenir des gains de productivité – et notamment sur la possibilité ou non d’un choc positif de productivité lié à la révolution numérique. Une majorité des experts préconise de conserver comme hypothèse centrale un taux de chômage de 7 % à long terme et les variantes actuelles (4,5 % et 10 %) et de garder également l’hypothèse actuelle de stabilité du partage des gains de productivité et du temps de travail en projection.
La première table ronde du colloque « Croissance de la productivité horaire du travail : que peut-on espérer ? », a été introduite par Gilbert Cette qui a montré que les principaux pays développés ont connu, de 1890 à 2019, une croissance inédite, principalement liée aux gains de productivité horaire du travail. Cependant, depuis environ quinze ans, le rythme de croissance de la productivité horaire du travail atteint le niveau le plus bas sur toute la période (hors les périodes de guerre) et ce ralentissement est constaté pour tous les pays étudiés. Cela peut sembler paradoxal dans un contexte d’essor des nouvelles technologies, en particulier numériques, et les débats entre économistes se multiplient : l’économie est-elle entrée dans une phase de « stagnation séculaire », où les gains de productivité resteraient très faibles ? Ou, au contraire, l’économie est-elle à la veille d’une nouvelle révolution technologique qui engendrerait à l’avenir une nouvelle phase de forte croissance des gains de productivité ?
Lors de cette table ronde, les intervenants se sont montrés favorables à un décalage des scénarios de croissance de productivité du COR à la baisse, l’une des présentations a notamment montré des travaux privilégiant un scénario de croissance à 0.7 % à long terme. Les intervenants mettent en cause la baisse tendancielle des gains de productivité, mais aussi la question des compétences : le niveau d’éducation de la main d’œuvre serait trop faible en France, notamment pour faire face à la révolution numérique et écologique qui nécessitera de disposer d’une main d’œuvre très qualifiée. Il a également été noté que la tendance à la baisse du rendement de la recherche et développement peut jouer un rôle important sur la croissance de la productivité. La dernière partie de la table ronde, a permis de faire un point sur l’évolution du PIB et de l’emploi lors de la crise sanitaire, constatant une perte de productivité en sortie de crise. Toutefois l’impact des crises n’est pas systématique sur la croissance potentielle et différents effets sont à l’œuvre pour déterminer l’évolution de la productivité qui reste très incertaine, tels que l’investissement dynamique des entreprises, la progression de l’emploi privé, la généralisation du télétravail dont les effets seraient très hétérogènes ou la transition écologique.
La seconde table ronde « Quel partage des gains de productivité dans le futur ? L’arbitrage entre la rémunération et le temps de travail », a été ouverte par Selma Mahfouz. Après avoir constaté une baisse de la durée du travail en France jusqu’en 2000, puis une très une forte stabilité, les intervenants ont mis en avant plusieurs facteurs pouvant contribuer à faire baisser ou augmenter à plus ou moins long terme la durée du travail, notamment le temps partiel. La part du temps partiel pourrait ainsi progresser, notamment si les jeunes et les seniors, particulièrement concernés par ce type d’emploi, venaient à se porter davantage sur le marché du travail, ou encore si la part des emplois spécifiquement à temps partiel, par exemple dans les métiers des soins à la personne, venait à augmenter. La préférence pour les loisirs pourrait inciter certaines personnes à travailler moins, voire à se retirer du marché du travail, et d’autant plus si les gains de productivité et de pouvoir d’achat étaient élevés. Enfin, le changement climatique pourrait conduire également à faire baisser le temps de travail, soit par contrainte (incapacité à travailler lors d’évènements climatiques extrêmes), soit par choix (nécessité de sobriété énergétique). On pourrait aussi observer une recomposition des temps de travail vers des temps de travail plus compacts, avec une diffusion de la semaine de quatre jours. Sur le temps de travail, cependant, certains pensent qu’il pourrait augmenter, au moins à court terme, avec la hausse de la part de salariés en forfait-jours ou de celle des non-salariés, deux catégories où le nombre d’heures travaillées est plus importante, et avec la diffusion du télétravail. Toutefois, à long terme, la tendance serait plutôt à la poursuite de la baisse du nombre d’heures travaillées observée depuis le début du XXème siècle.